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Le sauveur et son triangle infernal : sauveur-bourreau-victime


Êtes-vous de ces personnes généreuses, disponibles, inquiètes des autres, prêtes à prendre parti pour les plus faibles dans les conflits? Êtes-vous des soutiens importants pour les personnes chères, au devant de leurs besoins, souvent en train d’aider, de conseiller, de trouver des solutions pour ceux qui en ont besoin? Avez-vous l’impression que vous avez un rôle à jouer avec vos proches pour empêcher les injustices qu’ils subissent, pour maintenir l’harmonie dans le clan? Vous sentez-vous coupable si vous ne le faites pas? Êtes-vous fatigués de tout ce que vous portez comme responsabilités envers les autres?

Peut-être êtes-vous prisonnier d’un rôle défensif : le sauveur!

Sauveur, qui es-tu?

Nos actes de bienveillance envers nos proches, nos enfants, nos amis ne sont pas toujours issus du fonctionnement de sauveur. Heureusement! La gentillesse, l’entraide, la générosité, etc. sont des qualités humaines qui naissent souvent d’élans du cœur tout à fait naturels et spontanés et elles doivent avoir une place de choix dans nos relations.

Or, les actions du sauveur, elles, sont compulsives et naissent d’un élan inconscient d’arrêter la souffrance, celle de l’autre, certes, mais dans le but caché d’apaiser la sienne! La personne sauveur est incapable de supporter l’impuissance qu’elle ressent face aux inconforts des autres. Elle se sent responsable, le plus souvent à tort, des problèmes, défis, inconforts de ses proches et se donne elle-même le rôle de prendre en charge, materner, ménager, surprotéger, pour arrêter de souffrir. C’est elle-même qu’elle « sauve » à travers ces actes de bienveillance.

La personne qui endosse le rôle de sauveur, a compris, plus jeune, à tort ou à raison, que si elle prenait la responsabilité des problèmes des personnes importantes dans sa vie, si elle allégeait leur souffrance, elle gagnerait en échange la sécurité affective, l’amour, l’attention, l’importance, l’acceptation, la reconnaissance, l’écoute, etc., nourritures affectives essentielles pour tous les êtres humains. Cette compréhension des choses fait qu’elle se sent coupable de tout et a du mal à s’accorder de la valeur autrement qu’en s’occupant des autres. C’est donc pour faire taire son propre sentiment de culpabilité et sa souffrance de dévalorisation qu’elle « sauve », prend en charge et contrôle avant même d’écouter ce qu’elle ressent.

Aussi, le sauveur, face à la douleur d’un proche, manque de discernement et d’objectivité. Il ne distingue pas toujours un danger ou une injustice réelle subie par un être cher, d’une simple émotion désagréable, d’un défi difficile à relever, d’une conséquence déplaisante à assumer. Ainsi face à un enfant qui a mal ou qui est dans le pétrin, un parent-sauveur va chercher à faire disparaître sa douleur, à régler le problème à sa place et trouvera, au besoin, un coupable à juger et à blâmer. Malheureusement, ce comportement fait fréquemment naître un système de triangulation tout à fait malsain impliquant 3 personnes (ex. : père/mère/enfant) (frère/sœur/parent) (collègue/collègue/patron) (ami/ami/ami) ou 3 groupes de personnes (ex. :grands-parents, famille recomposée de l’ex-conjoint, personnel de l’école, etc.).

Voici un exemple de ce système relationnel défensif (pattern) dans une famille.

Le triangle infernal : bourreau-victime-sauveur

Imaginons un pattern à 3 qui met en scène un enfant, le papa et la maman dans lequel l’enfant est constamment pris en défaut par le père. Ce papa, face aux règles continuellement enfreintes par son fils et pire aux mensonges de son enfant qui argumente pour ne pas se faire prendre, vit beaucoup de colère et d’insécurité; il réagit avec intensité. Il veut faire assumer à son fils des conséquences percutantes et devient dur envers le jeune. Plus le fils ment et continue à transgresser les règles, plus le père devient agressif dans ses interventions, donc « bourreau ».

Le fils, lui, se lamente de son père qui, selon lui, agit injustement, est trop sévère, ne l’écoute et ne le croit jamais, l’accuse à tort. Il se sent coincé, incompris et surtout n’a rien à se reprocher. Voici notre « victime ».

Une victime excelle dans l’art de se plaindre, de blâmer l’autre, de manipuler pour faire pitié, quel que soit son âge.

La maman, elle, vit énormément d’impuissance face à ces disputes répétées entre son fils et son mari. Elle se sent coupable de ne pas avoir su prévenir cette situation et croit qu’elle a certainement le pouvoir et du moins le devoir d’intervenir; quel sentiment de surpuissance! Elle blâme donc son mari de sa dureté, s’oppose à ses conséquences démesurées et son manque de sensibilité lui est insupportable. Elle le voit méchant dans la situation et considère qu’il a entièrement tort. La preuve est qu’avec elle l’enfant est gentil, ne ment pas, n’est jamais sur l’ordinateur au mauvais moment (manque d’objectivité, surprotection, inconscience). Aussi, elle est touchée par l’impuissance du fils à se faire comprendre par son père. Pauvre enfant! Comme elle le comprend! Il a besoin de son intervention. Elle renie donc l’autorité du père, en enlevant ou diminuant la conséquence, en montrant au fils combien elle le comprend et en promettant de tempérer le père. Et voilà notre « sauveur », qui vient de calmer sa culpabilité, d’augmenter son sentiment de valeur personnel et s’assurer de l’amour de son fils, par le contrôle sur les autres.

Cette histoire pourrait bien, à quelques détails près, ressembler à la vôtre. Quel rôle y tenez-vous? Quel qu’il soit, vous contribuez à envenimer la situation. Même si vous êtes le gentil sauveur!

La face cachée du sauveur

On comprend assez aisément comment le bourreau met de l’huile sur le feu dans cette situation. Aussi, si on a côtoyé une « victime », on saisit facilement combien il peut être difficile de garder calme et sensibilité devant ses lamentations éternelles, ses reproches incessants et son manque de responsabilisation face à ce qu’elle attire dans ses relations. Par contre, on a tendance à ne voir que le côté lumineux du sauveur. Il agit avec gentillesse. Il veut aider, il est sensible à la souffrance des autres et ne laissera pas tomber quelqu’un qui vit des problèmes. Il prend parti pour le plus démuni. Il est disponible, serviable et agit par bonté. Tout cela est vrai. Pourtant, le sauveur a une face cachée.

Avec le « bourreau », le sauveur se place en juge de la situation, le blâme, le juge, le rejette, cherche à le contrôler. Il devient bourreau à son tour et ne fait que contribuer à endurcir la dureté de l’autre. Le sauveur se considère supérieur à lui et croit qu’il pourrait faire mieux. Il est souvent condescendant et méprisant, souvent subtilement et derrière une apparence de bonté. Il envahit souvent les territoires relationnels qui ne sont pas le sien, se mêle de ce qui ne le regarde pas, s’accordant un rôle qui ne lui revient pas car il se sent indispensable : si personne ne sauve l’enfant, qu’adviendra-t-il de lui? Il manque de discernement car il voit dans la relation conflictuelle, un être tout noir et un autre tout blanc, ce qui est très rarement le reflet de la réalité.

Envers la « victime », le sauveur devient surprotecteur. Malgré les apparences, surprotéger, prendre en charge et « sauver », c’est suggérer de façon non-verbale, qu’on considère l’autre démuni face à la situation. (Encore l’attitude de supériorité du sauveur qui apparaît!) C’est lui dire « sans moi, tu n’as pas ce qu’il faut pour y arriver! ». C’est manquer de confiance en l’autre. De plus, en réglant les problèmes à sa place, le sauveur prive l’autre (l’enfant dans notre exemple) de découvrir ses propres ressources pour régler son problème mais également, il l’empêche de se responsabiliser de ce qu’il crée dans la relation. Dans notre exemple, le père devrait certes éviter d’être dur et agressif. Toutefois, il ne se fâche pas pour rien. Si l’enfant ne respecte pas les règles, s’il ment, s’il se déresponsabilise, il est normal qu’il s’attire la foudre de son autorité. Malheureusement, avec son comportement d’interférence, notre sauveur abîme la relation entre celui qu’il voit comme l’ange et celui qu’il voit comme le démon. Sans compter que, dans notre exemple, il contribue à détruire à petit feu, sa relation de couple.

Être sauveur ou soutenir véritablement!

Le sauveur travaille fort et s’épuise à l’ouvrage. Il travaille sur l’autre pour changer le bourreau dans le but inconscient de faire taire sa propre culpabilité et son manque de valeur personnelle; et il travaille pour l’autre en prenant en charge la victime avec l’objectif non-conscientisé de s’assurer d’être aimé d’elle. Plus il a peur de perdre cette relation, plus il « sauve » compulsivement.

Le sauveur oublie trop souvent de travailler sur lui-même. Il devrait apprendre à dépenser toute cette quantité d’énergie pour lui. S’il veut réellement aider, il doit d’abord accepter de vivre l’impuissance, la culpabilité, son manque d’estime de lui-même, le conflit, la peur de perdre momentanément l’harmonie et l’amour. Puis il devra accepter de descendre de son piédestal, troquer sa supériorité pour l’humilité et laisser aux autres la responsabilité de leurs problèmes et de ce qu’ils sèment dans leurs relations.

Pour un parent, un ami, un amoureux, un frère, une sœur, un proche, soutenir vraiment la personne qui nous est chère, ce n’est pas de prendre sa douleur comme la nôtre. C’est d’être là quand elle a mal, la réconforter, la comprendre, l’écouter, croire assez en elle pour la laisser trouver sa façon à elle de faire face à ses difficultés, lui dire notre foi en ses forces et ses ressources.

Sortir du sauveur et retrouver du pouvoir sur soi

Sortir du rôle de sauveur, c’est non seulement laisser aux autres le pouvoir sur leur vie mais c’est retrouver le nôtre. Tant que nous portons sur notre dos les problèmes des victimes et que nous nousdonnons le mandat de changer les bourreaux, nous ne sommes pas véritablement à l’écoute de nos besoins et de nos limites.Étourdis par nos mécanismes de défense, nous dépensons de l’énergie inutilementet oublions de voir à l’amour de nous-mêmes.

En arrêtant de nous interférer dans les relations des autres, en cessant de prendre parti, en prenant une saine distance par rapport aux problèmes de nos proches et en ayant un rôle juste avec eux, nous gagnons une vision plus éclairée sur notre propre vie. Se clarifient alors nos besoins d’amour, d’écoute, de valorisation, de paix, de réalisation, de respect, de liberté d’être… se dessinent une nouvelle manière d’être, de vivre nos relations, une nouvelle route à suivre, à défricher, à embellir, des nouveaux élans, ceux qui naissent du plus profond de notre être, ceux qui nous inspireront à cultiver l’amour véritable de nous-même et des autres. Bonne route.

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